| Ramzi Chamat | OAKS GROUP SA
L’urbanisation en Suisse romande, qui englobe les cantons de Genève, Vaud, Neuchâtel et Fribourg, a connu de profonds bouleversements au cours des dernières décennies. Marquée par une forte expansion durant les années 1980, l’urbanisation a progressivement ralenti, transformant à la fois les paysages et les modes de vie. Aujourd’hui, la priorité n’est plus à l’étalement urbain, mais à la densification et à la réutilisation des surfaces bâties existantes. Les villas, autrefois symbole de prospérité et de confort, laissent place aux immeubles collectifs, plus adaptés aux besoins contemporains. Ce changement est le fruit de multiples dynamiques, allant des pressions environnementales aux nouvelles attentes sociétales, en passant par l’évolution des politiques d’aménagement du territoire. Cet article explore les raisons et les conséquences de ce ralentissement de l’urbanisation, ainsi que les défis à relever pour un développement urbain plus durable et harmonieux.
L’urbanisation de la Suisse romande, autrefois marquée par une expansion rapide des surfaces bâties, ralentit considérablement. Cette évolution est particulièrement visible dans les cantons de Genève, Vaud, Neuchâtel et Fribourg, où les changements dans les modèles de développement urbain et l'usage des sols modifient progressivement le paysage. Au cours des quarante dernières années, la bétonisation des territoires a certes continué, mais à un rythme bien moins soutenu qu'auparavant. Parallèlement, le type de constructions a lui aussi évolué, avec une nette réduction des villas au profit des logements collectifs, surtout en milieu urbain. Ce phénomène s’explique par des dynamiques complexes alliant contraintes écologiques, économiques et sociétales.
Selon les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS), la croissance des surfaces d’habitat et d’infrastructure en Suisse romande, bien qu'encore présente, s’est considérablement ralentie depuis les années 1980. Entre 1980 et 1992, l’augmentation annuelle moyenne des surfaces construites atteignait 5,9 km². Cependant, ce chiffre a progressivement diminué à 4,6 km² entre 1992 et 2013, puis à 3,3 km² entre 2013 et 2020. Cette tendance montre une décélération nette de l'expansion urbaine, marquée par des efforts croissants pour contenir l’étalement urbain et pour favoriser la densification.
L’un des facteurs majeurs de ce ralentissement est la raréfaction des terrains disponibles pour la construction, notamment dans les zones proches des centres urbains. La pression sur les terres agricoles et les espaces naturels a conduit à une révision des politiques d’aménagement du territoire, visant à préserver ces espaces et à promouvoir un développement urbain plus durable. Dans ce contexte, les nouvelles constructions se concentrent de plus en plus sur des zones déjà urbanisées, remplaçant souvent des bâtiments anciens ou des friches industrielles par des logements plus denses.
La transformation du paysage résidentiel est l’une des conséquences les plus visibles de ces changements. Alors que les villas individuelles représentaient une part importante des nouvelles constructions jusqu’au début des années 2000, leur développement a fortement diminué. Entre 1980 et 2013, les villas ont contribué à 67% de l’augmentation totale des surfaces d’habitation. Cependant, entre 2013 et 2020, cette contribution a chuté à seulement 33%. Cette évolution reflète une mutation des préférences de construction : en ville, les maisons individuelles sont désormais souvent remplacées par des immeubles à plusieurs logements.
Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. D’abord, le prix des terrains en zone urbaine a fortement augmenté, rendant la construction de villas moins rentable. Les promoteurs et les investisseurs privilégient donc des constructions collectives qui permettent de maximiser l’utilisation des terrains et d’optimiser le retour sur investissement. Ensuite, les nouvelles réglementations urbaines favorisent la densification et limitent la construction de maisons individuelles, particulièrement en milieu urbain où l’espace est devenu un bien rare et précieux.
Les attentes des ménages ont également évolué. Les logements collectifs en ville répondent mieux aux besoins actuels, notamment ceux des jeunes générations et des familles cherchant à réduire leurs temps de déplacement, à bénéficier de meilleures connexions aux transports publics et à vivre à proximité des services et des infrastructures urbaines. De plus, le télétravail, largement adopté depuis la pandémie de COVID-19, a renforcé l’intérêt pour des logements urbains offrant un accès facile aux commodités et réduisant la nécessité de longs trajets quotidiens.
Le ralentissement de l’urbanisation en Suisse romande ne signifie pas seulement moins de constructions, mais aussi une utilisation plus réfléchie et durable des sols. La réutilisation des surfaces déjà construites, plutôt que l’expansion sur de nouveaux terrains, est devenue une stratégie clé pour limiter l'impact environnemental de l'urbanisation. Plus de la moitié des surfaces construites en 2020 (58%) étaient imperméabilisées, c’est-à-dire recouvertes de matériaux ne laissant pas passer l’eau, comme le béton et l’asphalte. Cette imperméabilisation a des effets néfastes sur la gestion des eaux de pluie et contribue aux phénomènes d’îlots de chaleur en ville.
Cependant, la bonne nouvelle est que la tendance actuelle privilégie de plus en plus la transformation et la rénovation des infrastructures existantes. Les friches industrielles sont réhabilitées pour accueillir de nouveaux logements, et les vieux immeubles résidentiels sont rénovés ou remplacés par des bâtiments plus modernes et économes en énergie. Ces pratiques permettent de répondre aux besoins croissants en logements tout en minimisant l'impact sur les terres agricoles et les espaces verts.
Les politiques environnementales jouent également un rôle crucial. Les cantons de Suisse romande s'engagent de plus en plus dans des stratégies de développement durable, en imposant des critères stricts pour les nouvelles constructions et en incitant à la création de zones vertes et d'espaces publics. La construction durable, favorisant des matériaux recyclables et des systèmes énergétiques efficaces, devient la norme. Cela contribue à réduire l’empreinte carbone du secteur du bâtiment et à créer des villes plus résilientes face aux défis climatiques.
Malgré les progrès réalisés, l’urbanisation en Suisse romande continue de poser des défis. La densification urbaine, bien qu’écologiquement souhaitable, doit être soigneusement planifiée pour éviter des surcharges des infrastructures et des services publics. La qualité de vie des habitants doit rester une priorité, avec un accès à des espaces verts, des transports publics efficaces et des services de proximité.
Les autorités doivent également veiller à ce que l’urbanisation ne conduise pas à une ségrégation sociale. L’augmentation des prix de l’immobilier en ville peut exclure certaines populations, poussant les ménages à faibles revenus vers les périphéries où les logements individuels sont encore accessibles. Une politique de logement social et de régulation des loyers pourrait être nécessaire pour garantir que les villes restent inclusives.
Enfin, le défi climatique impose une accélération des efforts pour rendre les villes plus durables. La réduction des émissions de CO2, l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments et l’adaptation aux aléas climatiques doivent être au cœur des stratégies urbaines futures. En poursuivant sur la voie d'une urbanisation raisonnée et durable, la Suisse romande peut transformer ses défis en opportunités pour créer des villes où il fait bon vivre, en harmonie avec l'environnement.
Le ralentissement de l'urbanisation en Suisse romande illustre un changement profond dans la manière dont les cantons abordent le développement de leurs territoires. Face à des terrains de plus en plus rares et une pression croissante pour protéger les espaces naturels, l’urbanisation se redéfinit pour répondre aux enjeux environnementaux et aux besoins des populations. Les nouvelles politiques favorisent la densification, la réutilisation des surfaces déjà construites et la construction durable, marquant un tournant vers une urbanisation plus réfléchie.
Cependant, cette transition n’est pas sans défis. Il est essentiel de veiller à ce que la densification ne compromette pas la qualité de vie des habitants, ni n’exacerbe les inégalités sociales. La planification urbaine doit intégrer des solutions pour des villes inclusives, accessibles et résilientes face aux changements climatiques. En adoptant une approche globale et proactive, la Suisse romande a l’opportunité de construire un avenir urbain qui respecte à la fois ses ressources naturelles et les aspirations de ses citoyens, tout en servant de modèle pour d’autres régions confrontées aux mêmes défis.